Quels leviers pour rendre le monde un peu meilleur ? Cette stratégie va vous surprendre

Corentin Biteau
9 min readOct 30, 2021

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« Si, en allant travailler, vous passez devant un étang peu profond dans lequel un enfant est en train de se noyer, il est très probable que vous vous arrêtiez et salissiez votre beau costume pour aller le sauver.

Alors, pourquoi ne pas faire la même chose pour un enfant loin de vous en train de mourir de faim, par exemple en donnant l’argent du costume en question à une organisation humanitaire ? »

Cette question, émise à l’origine par le philosophe Peter Singer, m’a beaucoup fait réfléchir. Dans le premier cas, tout le monde dirait que oui, il faut y aller (j’espère, en tout cas). Mais peu de gens pensent vraiment au deuxième cas de figure. Pourtant, si c’est en mon pouvoir de faire quelque chose malgré la distance physique et émotionnelle, pourquoi ne pas agir ? Si on considère que « faire à autrui ce qu’on voudrait que l’on me fasse » est un bon principe de vie, pourquoi ne rien faire ?

Comme je n’ai pas trouvé de vraie bonne raison de ne pas aider les autres (au-delà de ma tendance tout à fait naturelle à rester dans mon confort personnel), j’en ai conclu qu’il fallait m’améliorer sur ce point. Une autre raison s’y est ajoutée : au niveau personnel, c’est très satisfaisant d’être en accord avec ses valeurs. Une étude évalue le degré de bien-être associé au fait d’acheter des objets : le bilan est pas fou, peu d’impact sur la satisfaction car on s’y habitue très très vite (repensez à tous les objets achetés les 3 derniers mois et demandez-vous si vous étiez plus malheureux avant). En revanche, le fait de donner cet argent à d’autres générait bien plus de satisfaction. A partir de là, pourquoi diable garder cet argent pour soi à partir du moment où les besoins de base sont satisfaits ?

Cette pensée est bien résumée par Henri Spira :

« J’imagine que l’on souhaite tous sentir que notre vie a consisté en plus que consommer des produits et générer des déchets. Je pense que nous aimerions tous regarder derrière nous et se dire que l’on a fait de notre mieux pour faire du monde un meilleur endroit pour les autres. »

Qui et quoi cibler ?

Au fil des découvertes, deux éléments se sont rajoutés :

  • Je n’ai pas vraiment de raison de faire de distinction sur les individus à cibler. Pourquoi ceux à distance auraient-ils moins de valeur ? Pourquoi les générations futures compteraient-elles moins ? Pourquoi exclure les autres êtres vivants, s’ils peuvent eux aussi souffrir et ressentir du plaisir (ce qui, d’après la science sur le sujet, semble être le cas pour les animaux) ? Tous ces éléments nous influent bien sur tous inconsciemment… mais je ne vois pas de raison objective de discriminer ainsi.
  • S’il y a moyen d’aider 100 personnes au lieu d’une seule, pour le même effort, on devrait évidemment viser les 100 personnes. On a accidentellement fait quelque chose de 99% moins efficace. Pour cela, il est donc très important de cibler les causes les plus efficaces. Comme j’ai une capacité d’action limitée au niveau du temps et des moyens, exit celles qui touchent peu de personnes, ou s’attaquent à des problématiques qui semblent complètement insolubles.

Voilà pourquoi j’essaie de me mettre (progressivement, hein) à trouver la réponse à ce qui est, à mon sens, la question la plus importante du monde : Comment augmenter le bonheur et réduire la souffrance d’un maximum d’êtres présents sur cette planète ? Et quelle est la manière la plus efficace d’y arriver ? Je n’avais jamais défini de sens dans ma vie jusqu’à récemment, mais celui-là me semble pas mal :)

Mais comment, donc ? C’est là que j’ai eu de la chance de tomber sur l’altruisme efficace, dont le meilleur résumé est le suivant :

« Qu’il s’agisse de mettre fin à la pauvreté extrême ou à l’exploitation animale, de prévenir les risques liés aux catastrophes, notamment climatiques, ou plus généralement de réduire la souffrance dans le monde, beaucoup d’entre nous souhaitons contribuer à faire du monde un meilleur endroit pour tous les individus qui le peuplent. Ces objectifs sont ambitieux et cruciaux, mais nos ressources (temps, compétences, réseaux, argent…) sont limitées. De ce problème fondamental est né l’altruisme efficace, qui est un mouvement qui vise à trouver les meilleurs moyens d’aider les autres et à les mettre en œuvre [en utilisant une démarche scientifique et rigoureuse]. »

Sur quel sujet on fait des choses alors?

A partir de là, reste LA question : sur quelle cause agir ? Ce n’est pas une question simple : il y en a plein ! L’échelle de temps influe beaucoup également : à moyen et long terme, l’environnement est particulièrement vital parce que s’il est négligé, s’ensuivront des catastrophes qui auront des effets négatifs sur tout le reste (pandémies, famines, extinction de masse, pénuries d’eau, récession, bref de quoi annuler tous les progrès sociaux des dernières décennies). Comme le formule Aurélien Barrau, «de très nombreux autres combats sont légitimes, mais si celui-ci est perdu, aucun ne pourra plus être mené ». Difficile, voire impossible de passer à côté donc.

J’ai fouillé un peu partout et évalué l’impact de différents sujets (et ai donné tour à tour à des assos agissant pour les droits de l’homme, contre la malaria et le sida, ou pour l’environnement…). Et après BEAUCOUP de recherche (et l’écriture d’un livre), j’en ai trouvé un qui permet d’agir sur tous ces sujets à la fois. Bien sûr, ce n’est pas le seul problème à résoudre, loin s’en faut, mais si on passe à côté de celui-là on manque quelque chose.

Et étonnamment, c’est la lutte contre l’élevage intensif qui est ressortie, et de très loin (et je le précise, l’intensif en particulier). En effet, il s’agit de :

  • La pire cause de souffrance animale : 60 milliards d’animaux sont tués chaque année. C’est pratiquement 10 fois plus que le nombre d’humains, et ils sont généralement élevés dans des conditions que nous ne souhaiterions à personne. Rien que ce point signifie que c’est un des plus importants problèmes sur Terre.
Conditions d’élevage de la majorité des cochons dans le monde. 20% d’entre eux meurent avant l’abattoir.
  • La première source de pollution de l’eau
  • La première source de déforestation, devant l’huile de palme. En conséquence, c’est une source majeure de réchauffement climatique
  • La première cause de la 6ème extinction de masse, étant donné son impact sur la déforestation (avec la surpêche des animaux marins)
  • Pour produire un kg de porc ou de poulet, il faut 6kg de protéines végétales. Tous les problèmes associés à l’agriculture sont donc présents, mais en 6 fois pire (pesticides, épuisement des réserves d’eau…)
  • Comme les bêtes sont généralement nourries avec des plantes qu’il a fallu faire pousser ailleurs (il n’y a pas assez de prairies), cela fait de la concurrence pour l’alimentation humaine. C’est ce qui s’est passé en 1985, lorsqu’une famine fit rage en Ethiopie: le pays continua pourtant à exporter des céréales pour nourrir le bétail anglais, malgré le fait qu’un million de personnes mouraient de faim. Il était plus rentable de vendre aux pays riches, qui achetaient plus cher.
  • C’est également une des plus grandes sources de pandémies (H5N1, H1N1, et sans doute la grippe espagnole). Surtout en comptant l’antibiorésistance qui rend nos antibiotiques moins efficaces. Or, on voit avec le Covid l’effet désastreux qu’ont les pandémies sur l’économie, la santé et la pauvreté (surtout quand les élevages de visons ont probablement généré un variant). Si on veut éviter un autre Covid, c’est le sujet à gérer en priorité.

Je précise que l’élevage extensif en prairie pose bien moins de soucis, et il ne me semble pas pertinent de le supprimer (le principal problème est l’abattage, qui est le même qu’ailleurs). Passer à une alimentation plus végétale et consommer entièrement extensif est donc un bon départ. Mais faites attention aux pièges : pour les poulets, œufs et cochons, il n’y a virtuellement que de l’intensif dans les restaurants, cantines et supermarchés — il s’agit donc de les éviter dans ces endroits, à moins de tomber par extraordinaire sur du bio.

Pour reprendre ce que disait Gandhi :

“On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux”

D’accord, c’est important, mais on fait quoi ?

Maintenant, qu’est-ce qu’on peut y faire ? Les altruistes efficaces identifient deux leviers d’impacts particulièrement costauds :

  • Le temps -> Vu qu’on passe 80 000 heures dans une carrière, on a un fort potentiel si celle ci a lieu dans un secteur porteur (une administration, mais au bon endroit, la recherche, une association). Par contre, dans mon cas, cela implique de refaire des études pour se rediriger au bon endroit, ce que je ne vais pas encore faire tout de suite : je n’en suis pas encore à ce niveau. En début d’études, une telle information m’aurait été précieuse, en revanche. Plus de détails sur les carrières à fort impact ici.
  • Les moyens -> L’argent, représente, de manière très directe, du pouvoir d’action. Le plan, dans ce cas, serait plutôt de soutenir directement ceux qui agissent de manière efficace, en donnant les moyens d’agir aux spécialistes de ces sujets. Je ne peux pas influencer une grande entreprise ou un état à moi tout seul (et je n’ai aucune idée de comment m’y prendre !) : soutenir des experts qui s’en chargent sera 1000 fois plus efficace que de m’y mettre en amateur. On pense que seuls les plus riches peuvent se permettre de faire ça, mais dans les pays développés, on a plus d’argent qu’on ne le pense ! Avec un diplôme d’ingénieur débutant, je suis dans le top 5% des plus hauts revenus de l’humanité. Il y a donc de quoi partager. Même avec un SMIC, on entre dans le top 10% (vous serez sans doute intéressés de voir où vous vous trouvez à ce lien !).

Le problème, c’est où donner ? Il y a rarement des garanties qui permettent de s’assurer que notre contribution sera VRAIMENT utile. C’est là qu’entre en jeu l’organisme altruisme efficace qu’est Animal Charity Evaluators, qui évalue LES meilleures associations qui luttent contre l’élevage intensif (leur objectif initial étant d’aider le plus d’animaux possible — ils ont calculé qu’un don de 1€ peut sauver 10 à 100 animaux !).

Je recommande particulièrement The Humane League, actifs aux USA et en UK, que j’ai contacté et qui étaient vraiment motivés. En revanche ils ne sont pas déductibles d’impôts en France, qui concerne les assos d’intérêt général françaises (à 66% !). L214 fait partie de celles-là et était recommandée par ACE jusqu’à récemment, ce qui n’est pas surprenant vu leur contribution au fait qu’un tiers des français se considèrent désormais flexitariens.

Je vous laisse découvrir leurs résultats ici : à ce lien. Une estimation posait qu’un don aux associations recommandées par ACE évitait plus de CO2 qu’un don aux grands noms du genre (imaginez Greenpeace), vu l’impact de l’intensif sur le méthane et la déforestation !

Voilà ce qu’on donné mes recherches… pour le moment

Bien sûr, j’ai pu passer à côté de certains éléments importants dans mes recherches et il ne s’agit pas de faire QUE ça : il y a évidemment d’autres choses à faire, qui sont très complémentaires (bénévolat, lutter contre la prolifération d’armes nucléaires, s’engager). L’avantage de cette action précise, c’est qu’elle est accessible directement, et n’implique pas de se forger des capacités pendant des années pour avoir de l’influence (comme pour l’engagement politique et le changement de carrière), donc c’est le meilleur ratio facilité/impact que j’ai trouvé. Après, je ne peux bien sur pas résumer trois ans de recherches en une page, donc n’hésitez pas à demander si vous voulez clarifier un point ou si vous voyez un angle mort dans l’approche !

Reste une question : combien donner ? Pour ça, j’aime beaucoup cette citation de Tony Robbins : « Il faut mettre de côté 10 % de ce que l’on gagne et le donner aux autres [1% en période étudiante ou de chômage]. Pourquoi? Tout d’abord parce que l’on doit rendre [à la société] ce que l’on prend. Ensuite parce que cela crée de la valeur, pour vous et pour les autres. Enfin, et c’est là le plus important, parce que celui qui agit ainsi envoie à son subconscient et au monde le message suivant : il y a plus qu’assez. On peut tirer de ce message une croyance fondamentale : s’il y a plus qu’assez, cela veut dire que vous pouvez avoir ce que vous voulez, et les autres aussi. Et une fois cette croyance établie, elle devient réalité ».

Pour conclure, je vous souhaite tous d’être heureux ! :D

Pour aller plus loin

Impact carbone des gestes individuels les plus efficaces comparés à l’impact d’un don de 1000 $ aux associations recommandées par Founder’s Pledge (en tonnes d’équivalent CO2).

Pour résumer mon objectif à moi :

Moi, je veux juste apprécier les choses, m’améliorer et qu’il y ait le moins de souffrance possible dans le monde. C’est tout.

La méditation aide énormément sur ces trois points ! :) (https://www.dhamma.org/fr/about/art)

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